Trop fort...

 

 

Lorsque je me suis présenté au starter, à 9 heures, il pleuvait doucement...Le ciel était complètement bouché à l’ouest, aucun espoir d’amélioration en vue, il allait falloir faire avec...

Encore une chance, il n’y avait pas de vent...

Dans la plaine de Saint-Aubin, les mouettes volaient bas au dessus du fairway du 1 , à la recherche des vers de terre...

C’était une petite compétition de classement, du genre de celles où on attrape la crève et où on n’améliore pas son handicap. Mais bon...

Il était 9 heures cinq, nous avions un départ à deux à 9 heures dix, et j’étais seul avec le starter, qui finissait sa nuit dans la cabane en bois. Mon partenaire avait certainement été découragé par la pluie, et n’avait pas pris la peine de téléphoner.

A 9 heures quinze, le starter commença à crayonner la feuille de départ pour voir s’il y avait moyen de me caser dans une des parties suivantes, lorsqu’une mercedès noire déboula à toute allure sur le parking en klaxonnant. Un type en sortit et nous fit de grands signes les bras écartés, comme s’il voulait dire « hé, là bas...» , ou « coucou, c’est moi... ».

Pas de doute possible, c’était lui...

Il arriva essouflé pour nous expliquer que « Putain, il s’était couché à deux heures du mat’ et que ce putain de réveil n'avait pas sonné, et putain de pluie, etc... », tout en faisant des moulinets impressionnants avec deux clubs, au risque de se déchirer un poignet...

En jetant un coup d’œil à son sac, je vis qu’il avait des fers Mizuno à lame pleine, manche graphite, des trucs tellement difficiles à jouer que même le Nick Faldo d’il y a dix ans les aurait renvoyés à son sponsor...Question bois, c’était carrément la classe : Que de la marque, avec des inserts partout, et du tungstène , du cuivre et du titanium en-veux-tu-en-voilà...Le sac débordait. Dix-huit clubs en tout, dont 3 putters, et même pas de chariot pour transporter tout ça, ni un parapluie pour les abriter...Impressionnant...

Il continua de s’agiter pendant que je tapais mon drive, mais ça n’avait pas beaucoup d’importance.

Ayant terminé sa séance de 45 coups d’essai,  il traîna son sac dans la boue pour se rendre au départ,

se mit à fouiller toutes ses poches, puis me demanda si je ne pouvais pas lui prêter quelques tees...Il fit encore un swing d’essai magnifique, mais ne parvint pas à le reproduire en réel.

Complètement bloqué à l’impact, il expédia un missile à gauche, tout droit vers le haut rough...

Il se retourna alors vers moi, peut-être pour me prendre à témoin, ou me demander un Mulligan, puis se mit à frapper le sol avec son Driver en lançant des jurons à l’aire de départ , pas assez plate, ou pas assez tondue, je ne sais plus...

Comme il partait avec son sac humide sur le dos, je lui suggérai qu’il serait peut-être préférable de taper une balle provisoire... « Pas la peine, je l’ai vue... » , me répliqua-t-il, visiblement trés agacé...

Je me dirigeai vers l’endroit où j’avais vu disparaître sa balle, mais lui prit une toute autre direction, beaucoup plus vers l’avant, les mains dans les poches...

« Je crois que c’est plutôt par là... », fis-je.

«  non, c’est bon, je l’ai... »

«  Ah bon... »

En effet...à ses pieds et dans la direction de son index pointé, une balle reposait délicatement sur la seule partie du rough un peu dégagée...Un miracle ?...

« Vous êtes sûr que c’est bien la vôtre ? »

Il la ramassa sans hésiter pour me la mettre sous le nez :

« Oui, oui, titeleist 4, avec une marque... ».  Comme je regardais en arrière dans la direction où sa balle avait disparu, il rajouta finement : « Elle a dû ricocher... »  Ah, oui...Pas de rochers, pas d’arbres...Elle avait dû ricocher sur une touffe d’herbe un peu rigide...

Il replaça la balle avec soin, faucha les herbes qui le gênaient avec de larges coups d’essai, fit un air-shot , puis expédia finalement sa balle vers le fairway.

Il atteignit le green de ce par 5 en quatre, putta trois fois, et m’annonça, l’air un peu décu : « Merde...Bogey... »

Houlà...Ca démarrait fort...

 

Tout au long des fairways du 2 et du 3 ( et le 3 est long...), entre deux sockets et trois grattes, il me raconta ses malheurs, comme quoi il aurait mieux fait de rester au lit ce matin, et qu’il n'avait pas eu le temps de s’échauffer, avec ce temps pourri, et que les greens étaient pas assez tondus, qu’il était en train de modifier son swing,  que ses professeurs précédents l’avaient complètement cassé, mais que là, il en avait trouvé un, et qu’on allait voir ce qu’on allait voir , etc...

 

Le second coup du 4 est délicat : Le green est minuscule, cerné par les buttes et les bunkers. Il faut être bien concentré pour y poser sa balle. Je fis un top magistral avec mon fer 9, et ma balle sautilla jusqu’à quarante mètres derrière, sur le fairway du 2... Mon partenaire n’eût pas plus de chance que moi, et se plugga sous la lèvre du bunker de gauche, injouable. Je me rendis rapidement vers ma balle, mais lorsque je me retournai pour la jouer, je le vis en train de marquer la sienne, décontracté, à un mètre du trou. Trop fort. Un Ben Hogan en état de grâce n’aurait  même pas pu réussir un coup pareil...

« Euh...ça doit être à moi ? » demandais-je.

« Allez y, c’est bon, j’ai joué... » Précisa-t-il, au cas où j’aurais pas compris...

Mais j’avais compris...

Je fis un deuxième top, un peu moins joli que le précédent, mais pas mal quand même...Comme on était en stableford, je me rendis directement au départ du 5, un peu agacé...

Il replaça sa balle à cinquante centimètres du trou, rentra le putt, et leva un poing rageur, à la manière de Tiger Woods...

Fort, trop fort...

Le 5 est un par 3 de 160 mètres assez dangereux, avec un obstacle d’eau qui longe le bord gauche et l’arrière du green. Lorsque le drapeau est placé à gauche, il vaut mieux ne pas trop l’attaquer...Mon partenaire s’aligna droit dessus, et frappa, ma foi, un assez joli coup...La balle pitcha la bordure du green, hésita une seconde, puis roula dans l’obstacle d’eau. 

Il la traita de « femme de mauvaise vie », injuria les joueurs qui passaient sur le fairway du 2, puis m’informa qu’il allait rejouer parce qu’il avait été gêné par ces guignols qui ne connaissaient rien à l’étiquette, et qu’il allait informer le directeur, etc, etc...

Lorsque je me mis à l’adresse, son téléphone portable sonna la Chevauchée des Walkyries...

Il raconta à je ne sais qui qu’il était en train de jouer au golf avec une bande d’abrutis, et que maintenant, avec la démocratisation, on laissait entrer nimporte quoi sur les terrains, et que c’était la dernière fois qu’il mettait les pieds ici, etc...etc...J’attendis qu’il ait terminé, pour taper un coup pas terrible, qui retomba à droite dans le bunker.

Il refit quelques coups d’essai, puis finalement,  décida  de ne pas rejouer, et partit se dropper au bord de l’obstacle.

En arrivant sur le green, il releva son pitch avec la pointe de son putter, droppa sa balle au meilleur endroit, en se rapprochant le plus possible du trou, et sauva le bogey sans effort,après avoir méticuleusement égalisé les marques de clous le long de sa ligne, avec la semelle de son putter. Il lança un dernier juron aux malheureux qui puttaient sur le 2, puis nous nous dirigeâmes vers le départ suivant.

 

( Pour mieux suivre l'histoire : L'albatros system de Saint Aubin )

 

Le 6 de Saint-Aubin est probablement le par 4 le plus facile du monde. A peine 250 mètres tout droit, avec un fairway large comme les Champs-Elysées... C’est le modèle déposé du trou à birdie, avec reproduction conservée à Sèvres, à côté du mètre étalon...Plus à l’aise, et sachant que la partie la plus difficile du parcours était derrière nous, je tapai un drive assez correct, un peu à gauche, mais qui me laissait un tout petit coup, avec une bonne ouverture pour le drapeau. Curieusement, mon collègue du jour prit un fer, et, n’ayant toujours pas de tee, donna un grand coup de pied dans le sol pour poser sa balle sur un petit monticule de terre.

Il avait dû voir Laura Davies faire ça à la télé...Voilà ce qui arrive quand les professionnels donnent le mauvais exemple...

Sa séance habituelle de coups d’essai arracha quelques divots à l’aire de départ, puis, toujours aussi crispé, il fit une gratte énorme, et sa balle ricocha lamentablement avant de disparaître dans le petit rough...Cette fois, ce fut la boule de départ qui trinqua... Il la fit exploser d’un swing en revers magistral, ce qui eût pour effet ce casser net le manche de son club,dont la tête  vola au milieu de l’obstacle d’eau du 5...

Il devint écarlate, et je me mis en position défensive, mon parapluie ouvert entre lui et moi. Mais il ne se passa rien. Il jeta ce qui restait de son club derrière lui, ce qui n’était pas trés grave, puisqu’il lui en restait encore 17, reprit son sac sur le dos, et se rendit directement vers le départ suivant sans un mot.

Je fis un joli birdie sur ce trou là, avec un putt de cinq mètres, mais il ne me félicita pas...

Ambiance...

Les trous suivants se passèrent sans encombre. Il tapait ses drives avec une balle extra-distance, du genre top-flite plus-dure-que-moi-tu-meurs, et sortait systématiquement de sa poche une balata toute neuve pour jouer ses petites approches et ses putts...Ca devait être efficace, car il fit trois pars d’affilée, ce qui lui redonna le sourire, et la parole...Comme j’avais slicé - volontairement - mon drive sur le 9, pour m’écarter du hors-limites de gauche, il m’expliqua que lui aussi, avant, était sujet au slice, mais que maintenant, avec son nouveau prof et ses quatre leçons par semaine, ce n’était plus qu’un mauvais souvenir...

Puis il entreprit de me corriger...

Selon lui, je n’étais pas assez penché vers l’avant à l’adresse, il fallait absolument que je mette mon poids de corps sur la pointe des pieds...mon épaule droite était trop basse, mon stance trop étroit, et mon grip trop faible...De plus, il fallait que je rejette ma tête en arrière à la descente, et que je bloque mes hanches, pour empêcher mon poignet droit de supiner...Mon gant était trop sérré, mon sternum pas dans l’axe, mes shafts trop souples et mon jeu pas assez agressif…

 Bref, j’étais dans une sacrée merde…

Au départ du 10, il se mit tranquilement à l’adresse, et, commeà son habitude, me demanda quelle était la distance. Comme il y avait 160 mètres et que j’étais un peu fatigué, je lui répondis : 

« 150 ».

« Vous êtes sûr ?... »

« Yards. » Précisai-je.

Il fit un rapide calcul mental, prit un fer 6, et resta court de quinze mètres, dans le fossé devant le green, un des endroits les plus injouables du parcours...Il lui fallut quatre coups pour ramener sa balle sur le green, sans compter les points de pénalité pour avoir posé son club dans l’obstacle et dégagé les détritus qui le gênaient...

Tout ça pour ne même pas putter...

Il était un peu énérvé au départ du 11, et joua en premier sans me demander mon avis, pour balancer sa balle dans les pieds de la partie qui nous précédait, parce que, selon lui, « Ca allait les faire avancer... ».

Au trou suivant, son drive s’étant égaré dans le rough, il prit quelques balles dans son sac, et les mit dans sa poche, au cas où...

Il pleuvait vraiment bien, maintenant, et pour lui, sans parapluie, avec un seul gant en cuir, et des grips lisses, ça devenait un petit peu compliqué...

Comme nous cherchions sa balle depuis dix minutes, je lui fis remarquer que la partie derrière attendait, et lui suggérai de laisser passer et de revenir au départ pour taper son troisième coup. Il me lança un regard de tueur, fit une sorte de bras d’honneur à ceux qui nous suivaient, et continua ses recherches.


Finalement, c’est moi qui retrouvai sa balle, sous les arbres de droite, et, comme je ne le quittais pas des yeux, il se résigna à la jouer, après avoir repoussé soigneusement les branches qui le gênaient...

Il se mit à l’adresse, mais quelque chose semblait le chiffonner...Je le vis poser son club et partir à grandes enjambées vers le green, à cent mètres de là, puis revenir, exactement de la même manière...Pas  de doute possible, il comptait ses pas pour mesurer la distance...Hallucinant...Les autres derrière commençaient à brailler de plus en plus fort et à faire de grands signes avec les bras levés, ce qui, en langage golfique, signifie : « Laissez nous passer, sinon on va vous dénoncer au directeur... »

Il fit une balle basse trés réussie, mais un peu longue, qui traversa le green et alla se ficher derrière, dans le fossé, exactement à l’endroit où il s’était enlisé sur le tee-shot du 10.

Il cassa alors ce qui restait de branches au dessus de sa tête, et me demanda de lui rendre sa carte, parce que « Ca ne valait pas la peine de marquer ce score de merde, etc... ». Grand seigneur, il me proposa de finir le parcours avec moi, pour continuer à marquer la mienne.

Débarrassé de la pression, il se défoula sur les deux trous suivants, tapant des drives magnifiques, et rentrant deux birdies qui ne devaient rien à personne. Sur quoi il me redonna sa carte, me demandant de la marquer à nouveau, parce qu’il avait trouvé le truc qui n’allait pas dans son swing, et que maintenant, on allait voir ce qu’on allait voir..

Effectivement, on vit.

On vit une balle pluggée dans le bunker gauche du 15, trois coups pour en sortir, suivis de trois putts, un manche de rateau cassé et un bunker dévasté, parce que , « c’était des bunkers pourris, et que ça ne valait pas la peine de les ratisser, et que le directeur, il allait l’entendre... »

Comme il n’avait rien mangé depuis le départ, et que les conditions étaient difficiles, il eût un léger coup de pompe au 17, frappa une balle trés molle, qui tomba dans l’eau, juste devant le green.

Il se droppa devant l’obstacle, en râlant après le vent, qui s’était levé juste au moment où il tapait, et sa balle , ironique, roula dans un creux du petit rough...

No way, comme disent les américains...

Il sortit quand même son sand-wedge, mais le problème, avec cet instrument très lourd, c’est que quand on toppe sa balle, elle peut partir à des distances phénoménales...Celle ci passa au dessus du green du 17, puis au dessus de celui du 14, pour ensuite disparaître définitivement des écrans radar.

Lorsque je le vis empoigner son sac à deux mains, je compris ce qui allait se passer... J’avais déja vu un type balancer son sac au milieu d’un obstacle d’eau, à Ozoir, avec tout dedans... Argent, papiers, clés de voiture, etc... Il avait fallu appeler les pompiers pour le récupérer, le greenkeeper avait failli se noyer, toute une histoire...

Il se tourna vers moi, comme si j’étais censé devoir faire quelque chose. J’eus envie une seconde de lui faire un signe avec le pouce baissé, mais je n’ai pas un mental de tueur... Finalement, je lui fis non de la tête. Il hésita, puis reposa son sac au sol, se contentant de lui donner un grand coup de savate.

Au départ du 18, il voulut frapper son driver, mais on entendit un craquement sinistre à l’impact...Haut de gamme ou pas, les manches graphite n’apprécient pas les coups de savate... Sa deuxième balle partit largement hors limites, et, pendant que je la cherchais bêtement, il me fit signe qu’il l’avait retrouvée au milieu du fairway... Il me carrota encore trois ou quatre points au comptage, on se demande bien pourquoi, puis me proposa une bière, mais j’avais juste envie de rentrer, prendre une douche, manger un morceau, et me taper une bonne sieste...

 

On se croisa au practice le week-end suivant. Il avait un driver flambant neuf et faisait des démonstrations de slice, plein pot, devant la terrasse du restaurant...
Sur la feuille de résultats affichée au club-house, il était le seul à avoir joué en dessous de son handicap, déja trés flatteur, et personne ne lui arrivait à la cheville... Décidément, il était trop fort...

 

@PM

 

L'albatros system de Saint Aubin

 

Encore un peu de détente avec : Comment jouer les parcours ASAF

 

ou le site de Guzzler (mais il faut s'accrocher en anglais...)

 

 

 
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