PARCOURS DU COMBATTANT

 

 

Sur le parcours (de golf) de la base militaire de Villacoublay, des bouées de sauvetage ont été installées au bord de chaque obstacle d’eau.

Pas des petites bouées. Des grosses, orange fluo, celles qui équipent les navires de guerre.

Sage précaution.

Les militaires sont bien placés pour savoir qu’un endroit paradisiaque peut se transformer en champ de bataille, ils en ont donc déduit logiquement qu’un risque sérieux existait de voir un parcours de dix-huit trous

se transformer en parcours du combattant :

Une première balle hors-limites, puis une deuxième, et voilà l’adrénaline qui se met à couler dans vos veines... Le rythme cardiaque s’accélère, la tension grimpe, le visage pâlit, la mâchoire se crispe. On se demande où va partir la prochaine...On se demande même si elle va partir...

Les obstacles d’eau deviennent des marécages sournois, le vent souffle, le ciel s’assombrit, la vue se brouille. Chaque bosquet abrite des bambous acérés, des ennemis invisibles rampent le long des roughs pour y faire disparaître vos balles toutes neuves, les hors limites sont comme des champs de mines, les bunkers des sables mouvants, les greens des pièges qui font grincer les dents...

A peine arrivé au 6, que déjà, comme dit si bien Rimbaud, « vous suez, pris dans un atroce entonnoir... » Rien ne fonctionne : La balle, mûe par des forces obscures, s’enfonce à chaque fois davantage dans les hautes herbes. On tente de jouer la sécurité, et c’est le naufrage... On implore le ciel, puis on le maudit tour à tour. On maudit aussi le greenkeeper, qui a reculé les boules et placé les drapeaux dans les coins...Tout est de sa faute...

Alors on ne frappe plus la balle, on la gifle ! Pas folle, la balle, elle se dissimule pour éviter les coups, et rigole doucement pendant que vous la cherchez... Elle vous nargue, c’est sûr... Et en plus, vos partenaires regardent leur montre en complotant derrière votre dos... Perdu pour perdu, il faut absolument tenter quelque chose ! Un coup impossible, par exemple, on ne sait jamais...

Et c’est l’engrenage infernal... On avance, sonné, errant comme une une âme en peine sur un fairway sans issue, entre le bunker des damnés et l’Amen corner de l’Apocalypse...

C’est ici que les masques tombent. Même les plus endurcis peuvent subir la Métamorphose : Mister Hyde et l’incroyable Hulk n’ont qu’à bien se tenir... Le grand’ père gâteau se transforme en tueur sanguinaire, la ménagère de moins de cinquante ans en Walkyrie hystérique, et le manager sûr de lui et dominateur en clown pathétique.

En fait, dans ces moments terribles le golf dévoile votre personnalité et met en évidence vos faiblesses comme peu d’autres activités humaines peuvent le faire.

Lorsque des dirigeants d’entreprises Japonais ou Américains accompagnent leurs cadres sur des parcours, lors de séminaires, cela n’a rien d’innocent. Ils savent qu’on en apprend parfois plus sur un individu en observant son comportement  sur 18 trous, qu’en le côtoyant pendant plusieurs mois, ou qu’en lui faisant passer force batteries de tests psychologiques.

On y débusque les « chockers », ceux qui craquent dans les situations difficiles, les kamikazes, qui prennent des risques inconsidérés, les timorés, qui jouent en permanence la sécurité, les paresseux, qui ont négligé l’entraînement, les distraits, qui sont incapables de se concentrer, les déprimés, qui n’arrêtent pas de se lamenter, les je-m’en-foutistes, qui ne se préoccupent pas de leur score, les pas fiables, qui perdent le contrôle de leurs nerfs au moindre coup du sort, les agressifs, les anxieux, les défaitistes, les impatients, les sournois, les violents, les tricheurs...Et tutti quanti !...La jungle, je vous dit...

Alors prudence... On ne s’aventure pas sans risques sur le territoire du Tigre... Le fauve marche derrière vous, tapi dans l’ombre, à l’affût du moindre de vos faux-pas.

Ne vous retournez pas.

 

 

 

PATRICK MICHELETTI